Impression Le syndrome du petit chef
 

LE SYNDROME DU PETIT CHEF

Vous avez tous rencontré un jour ou l'autre dans votre entreprise un de ces personnages qu'on nomme « petit chef ». Vous en avez été témoin ou victime, à moins que vous ne soyez vous-même atteint de ce syndrome…
On assiste en effet, après les années « management participatif » à une recrudescence des cas qui peuvent aller jusqu'au harcèlement moral.

 

Qu'est-ce qu'un « petit chef » ?

Dans son livre « Quand le petits chefs deviendront grands », Maurice Thévenet donne une définition particulière et attribue le nom de « petits chefs » aux « managers de proximité » (les contremaîtres). Après avoir travaillé avec de très nombreux contremaîtres, du chef d'équipe au chef d'atelier, je ne partage pas cette généralisation et je préfère ne garder cette appellation que pour une certaine caricature du rôle de chef qu'on rencontre aussi bien chez le plus petit chef d'équipe que chez le cadre supérieur, chef d'un service important.
Ceci étant précisé avançons dans la définition du « petit chef ».

On attribue au « petit chef » tous les défauts du monde de l'entreprise :
•  tatillon : il demande des comptes en permanence et veut tout vérifier
•  pointilleux : il contrôle les heures d'arrivée, de départ, de pause…
•  autoritaire : il impose sans expliquer et n'accepte pas la discussion
•  omniprésent : il est partout à la fois, surtout là où on ne l'attend pas
•  perfide : il n'hésite pas à monter les gens les uns contre les autres
•  résistant au changement : il refuse toute évolution de l'organisation
•  violent : il n'hésite pas à insulter ses subordonnés
•  injuste : il a ses « têtes de turc » et ses « fayots »
•  mesquin : il reproche une minute de retard à l'employé modèle qui n'est jamais absent
•  insensible : il refuse un congé pour un enfant malade
•  incapable d'écouter : il est dans son monde et pense que lui seul a la vérité
•  s'attribue les idées de son équipe : si vous lui faites une suggestion, il refuse de vous écouter, mais si l'idée est bonne, il la reprend à son compte un peu plus tard
•  irrespectueux voire impoli : il ne vous dit pas « bonjour » le matin, ne dit jamais « s'il vous plait », ni « merci » et parle à son personnel comme à du bétail
•  accroché à son poste : il a peur en permanence qu'on lui prenne sa place si chèrement acquise
•  fier : il a réussi…
•  met l'accent sur son rôle de contrôle plus que sur son rôle d'animateur
•  etc…

Pour Maurice Thévenet, le « petit chef » se caractérise par :
•  sa mission : contrôler des tâches, des résultats
•  son caractère : tatillon et autoritaire
•  ses compétences : pas de maîtrise des techniques de management, se positionne toujours du côté des tâches, peu ou pas de démarche de relations humaines, position défensive face à sa situation chèrement acquise,

Par ailleurs, Maurice Thévenet oppose le « petit chef » au manager qui gère une équipe, qui est un leader, qui a des compétences en management des hommes, et qui présente une image de dynamisme.
Ainsi, le syndrome du « petit  chef » est une déviance du rôle de manager qui se caractérise par une focalisation sur le contrôle des tâches et l'ignorance de tout l'aspect relationnel et humain de la fonction. Alors que comme le souligne très bien Maurice Thévenet, l'essentiel de la fonction d'encadrement est relationnelle et humaine.
En général, le « petit chef » est devenu responsable d'une équipe ou d'un service parce qu'il était le plus compétent techniquement. N'ayant pas été formé à sa nouvelle fonction et à ses nombreuses facettes, il s'est limité à ce qu'il connaissait : les tâches qu'il avait lui-même réalisées pendant de nombreuses années. Il adapte son attitude pour rendre ce contrôle le plus efficace possible : tatillon, autoritaire, injuste, etc…, bref il peut avoir tous les défauts énoncés ci-dessus. Et c'est ce que les entreprises attendaient et continuent d'attendre (pour encore une grande part) de lui. S'il n'a aucune compétence relationnelle ou un charisme de leader « inné », il devient un véritable « petit chef » avec tous ses travers.

Il ne faut pas confondre cette attitude avec le harcèlement moral, même si un « petit chef » peut dévier jusqu'à harceler un de ses subordonnés.
Le harcèlement moral est précisément une perversion qui tend à détruire une personne par une pression morale insupportable. Il peut être réalisé par un individu (supérieur ou collègue) ou par un groupe de personnes (on l'appelle mobing dans ce cas). L'objectif peut être de forcer une personne à donner sa démission. Mais il peut très bien n'y avoir pas de raison apparente et c'est là la véritable perversion… ou la maladie mentale.

Origine du petit chef

On retrouve cette notion très tôt dans le monde militaire où la nécessité de la discipline pouvait facilement glisser sur l'arbitraire. Le « chef » était celui qui savait entraîner ses hommes par son exemple et son courage. Le « petit chef » était celui qui était plus gradé que les autres et qui « motivait » plus par la contrainte que par l'exemple…
Dans les corporations de l'ancien régime, il y avait des maîtres et des ouvriers. Les maîtres étaient expérimentés et avaient la compétence. Et les relations avec leurs ouvriers étaient régulées par la charte de la corporation. Cette notion de « petit chef » n'existait pas : elle n'avait pas lieu d'être, le pur contrôleur n'existant pas.
Après la disparition des corporations à la fin du 18 ème siècle, (au moins dans notre pays), chaque chef d'entreprise créait lui-même son propre règlement intérieur et assurait la discipline. J. Bentham fait la théorie de la surveillance dans son « Panoptique » publié en Angleterre en 1791 et traduit aussitôt en France.
La complexité croissante des firmes et la division du travail ont amené la création d'une nouvelle catégorie d'employés : les contremaîtres que l'on voit apparaître vers 1830. Leur rôle est d'organiser le travail et de faire régner la discipline. Ils doivent être de bons techniciens ou de bons administrateurs, mais ils doivent surtout être dignes de confiance. (Cf. B. Girard : Histoire des théories du management).
Alors que le contremaître avait une fonction pluridisciplinaire (surveillance des machines, conception des modèles, entretien des machines, formation des ouvriers, fabrication de machines, perfectionnement des procédés, etc…) Taylor découpera ces tâches entre différents services et finalement, le contremaître ne fera que surveiller les ouvriers qui pour lui sont plus enclins à la paresse qu'au travail.
Cette classe de « contrôleurs » est devenue la maîtrise que l'on connaît encore de nos jours.
Cependant, avec l'évolution des organisations et le raz-de-marée du « Management Participatif », une grande partie de la maîtrise a disparu, remplacée par des « animateurs » (ce sont parfois les mêmes qui ont changé de casquette). Ceci est vrai surtout pour les grandes entreprises. Dans les moyennes et petites entreprises, il se trouve encore des contremaîtres à qui leur hiérarchie donne ce rôle exclusif de contrôle.
Comme nous l'avons vu précédemment, c'est l'accent mis exclusivement sur cette fonction de contrôle qui est à l'origine des « petits chefs ».

Qui est touché par ce syndrome ?

Tout les managers, du chef d'équipe au PDG sont touchés à un moment où à un autre de leur carrière par ce syndrome. L'important est de le savoir, de le détecter suffisamment tôt pour en limiter les conséquences.

•  Les jeunes managers.

Contrairement à ce qu'on pourrait penser, les cas les plus courants se rencontrent chez les jeunes managers : c'est quand un jeune prend son premier poste d'encadrement qu'il y a le plus de risques surtout quand ce jeune n'a pas été formé à son rôle d'encadrement, ce qui est souvent le cas… Les études supérieures ne préparent pas du tout à ce rôle et même s'il y a des cours de management dans les écoles d'ingénieur, la véritable manière de mener les hommes ne s'apprend que sur le terrain. Il n'y a rien de pire que le jeune sortant d'école et pensant tout connaître sous prétexte qu'il aura eu quelques heures de cours sur le sujet. J'en ai connu plus d'un… Mais ils se sont rapidement cassés les dents sur la réalité et ont pu ensuite revenir à une attitude plus humble.

•  Les contremaîtres

C'est dans cette catégorie qu'il se rencontrait le plus de « petits chefs ». C'étaient de très bons ouvriers, nommés contremaîtres car ils étaient bien vus par leur patron. Mais ils n'avaient pas de formation ni de compétence en management.

•  Les cadres supérieurs et les dirigeants

Les « petits chefs » peuvent se cacher partout, même dans les directions générales. Et c'est toujours le même processus : celui qui arrive à un poste d'encadrement sans y avoir été formé, préparé et accompagné a une forte probabilité d'avoir un comportement « petit chef ».

Comment devient-on petit chef ?

Le cas le plus classique est le bon professionnel nommé à un poste d'encadrement sans formation ni accompagnement. Cette personne se contentera de reproduire les attitudes qu'elle a vu appliquées par ses propres chefs, en se persuadant qu'elle fera quand même mieux. Souvent, le résultat est pire…

Un autre cas courant est le chef victime du syndrome de Peter : il occupe son poste depuis quelques années, mais les évolutions d'organisation font que le niveau de responsabilité s'est accru et dépasse son niveau maximum de compétence. Alors qu'il a une expérience d'encadrement, il ne maîtrise plus la complexité de sa nouvelle fonction : gestion, relations clients, niveau technique pointu, équipe plus importante ou avec des caractères difficiles, etc… Il s'accroche donc à ce qu'il peut : le contrôle des tâches… ou des horaires à défaut de pouvoir évaluer les résultats réels.

L'ambiance et la culture d'entreprise peuvent également favoriser les comportements « petits chefs » :
•  quand on recherche des coupables plutôt que des solutions ;
•  quand on sanctionne systématiquement au lieu de former ;
•  quand les chefs de service ne sont jugés que sur les volumes de production ou de vente et que la course au chiffre est le seul objectif ;
•  quand les tableaux de bord officiels n'incluent que des volumes de production, de vente ou des résultats financiers ;
•  quand il y a une antinomie entre ce qui est écrit dans la charte de l'entreprise et ce qui est vécu concrètement ;
•  quand on s'intéresse plus au temps de travail qu'à l'efficacité et à la valeur ajoutée de ce travail.

Certains moments tendus de la vie de l'entreprise favorisent également cette tendance : quand une entreprise est en difficultés, ses managers sont sur le dos des salariés pour les faire travailler au maximum et tout est prétexte à « serrer la vis ».

Quels remèdes ?

•  Un des vos collaborateurs se comporte comme un petit chef.

Si un de vos collaborateurs est touché par ce syndrome, il faut réagir, car tout d'abord votre personnel ne vient pas travailler pour se faire embêter par le premier « petit chef » venu et ensuite la performance de l'équipe risque de se dégrader rapidement.

Il y a plusieurs solutions :

Le coup de massue : utilisable pour les jeunes managers qui ne se rendent pas compte de leur attitude : dans un entretien un peu solennel (qui peut être l'entretien de bilan après quelques mois de prise de poste), vous leur dites leurs « 4 vérités » sans prendre de gants, en étant direct et factuel. Vous leur faites toucher du doigt les conséquences de leur attitude. C'est en général un bon remède. Il faudra vraisemblablement accompagner par des formations en management.

La formation , si le cas n'est pas trop grave : à faire pour des managers ayant besoin d'être recadrés.

Le coaching , si le cas est grave mais non désespéré : à faire pour des managers confirmés ayant toujours vu fonctionner et ayant eux-même fonctionné comme des « petits chefs ». Vous devrez être patient, car l'évolution des adultes est très lente voire impossible. En attendant, vous pourrez fixer une règle du jeu : une charte des bonnes relations individuelles peut permettre à tout le monde de savoir où se situe la ligne rouge à ne pas dépasser.

La mutation  : vous pouvez muter ce collaborateur à un poste où il aura moins (ou plus du tout) de personnes à encadrer. Cette solution est une bonne solution au syndrome de Peter et est intéressante si ce collaborateur possède par ailleurs une compétence essentielle pour votre entreprise.

La séparation  : il peut arriver que le cas soit si grave qu'il n'y a pas d'autre solution que de se séparer du « petit chef », surtout quand celui-ci en arrive à harceler moralement un de ses subordonnés.

 

•  Vous êtes victime d'un petit chef.

Il y a également plusieurs solutions :

-  Vous pouvez en parler avec sa hiérarchie qui prendra les mesures adéquates. Mais c'est un cas rare, car la hiérarchie a souvent nommé la personne concernée et se sent impliquée. Elle accepte donc mal d'être remise en cause. C'est donc une solution risquée et ne la mettez en œuvre que si vous êtes sûr de la réaction de cette hiérarchie.

-  Vous démissionnez si c'est trop insupportable. Il vaut mieux partir que d'user sa santé et son mental face à ce type d'individu.

-  Si vous ne souhaitez pas partir, mais faire votre travail tranquillement, vous pouvez « jouer » des défauts de votre « petit chef » : « tout flatteur vit au dépend de celui qui l'écoute ». Un « petit chef » recherche souvent de la reconnaissance : flattez-le et reconnaissez-le comme votre chef (même si vous n'en pensez pas moins) il vous sera reconnaissant à son tour et vous laissera en paix. Mais attention, il ne faut pas que vous apparaissiez comme un danger pour lui. Ne cherchez pas à prendre sa place : il deviendrait terrible. Sachez user de l'humour au cas où il vous agresse : il sera désarçonné.

Par contre , il y a des actions à ne surtout jamais faire :
-  N'en parlez jamais directement avec cette personne : elle ne l'acceptera pas et vous en voudra à mort.
-   Ne vous heurtez pas de front avec votre « petit » chef. Il risque d'aimer ça (il sera conforté dans son attitude) et en cas d'agression physique, c'est vous qui aurez tort.

•  Mais d'abord définissez votre objectif.

Avant de mettre en œuvre une solution, vous devez d'abord décider de votre objectif. La plupart des situations difficiles viennent du fait qu'une décision n'avait pas été prise à temps faute d'objectif clairement défini.
Prenons l'exemple d'un de vos collaborateurs qui se comporte comme un petit chef avec ses subordonnés. Vous devez analyser la situation et ensuite décider de l'issue : formation, coup de massue, licenciement, mutation. Vous n'avez pas d'autres solutions que ces 4, mais vous pouvez les combiner : formation et si ça ne marche pas mutation.

Ce qu'il faut retenir

- Le syndrome du « petit chef » est une des maladies du management. Sous ses formes bénignes, il est facilement guérissable et plus il est pris à temps, meilleur c'est.
- Mais sous ses formes graves, elles peuvent vous amener à vous séparer d'un de vos collaborateurs.
- Si vous êtes vous même victime d'un « petit chef », vous pouvez soit fuir cette situation, soit faire le « mort », soit essayer d'en parler avec sa hiérarchie.


Pour aller plus loin :

Livres :

•  Quand les petits chefs deviendront grands de Maurice Thévenet